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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Tout étant rentré dans le silence, nous y attachâmes peu d’importance, d’autant que le duc de Fezensac, resté après nous chez madame de Châtenay, ne tarda pas à nous rejoindre et nous affirma qu’un cheval, échappé d’un bivouac sur le boulevard, s’était précipité parmi ceux du bivouac de la place Louis xv, avait causé beaucoup de tapage et tout cet émoi.

Installée sur ma chaise longue, j’espérai de nouveaux renseignements par mes habitués quotidiens. J’étais pourtant si accablée que le chancelier, en sortant bientôt après pour retourner à l’hôtel Molé, me jeta de la porte : « Bonsoir, Mater Dolorosa. » : Monsieur de Fezensac continua à se rire un peu de moi sur le même ton, avant de se retirer à son tour.

J’attendis jusqu’à minuit ; personne ne vint. Toutefois le calme et le silence régnaient dans notre quartier, et je me mis au lit.

En entrant chez moi le lendemain, mes femmes m’apprirent les bruits sinistres déjà répandus. On parlait d’un soulèvement général et de nombreuses victimes égorgées par la troupe. J’écrivis un mot à madame de Rémusat, ma très proche voisine dans la rue d’Anjou, pour m’informer de ce qu’elle savait.

Elle me fit répondre qu’elle allait m’envoyer son fils pour me mettre au courant des événements de la nuit.

Pierre de Rémusat survint presque aussitôt. Son père avait accompagné monsieur Thiers aux Tuileries vers les minuit. Celui-ci était chargé de former un ministère. Il avait obtenu le consentement du Roi de s’adjoindre messieurs Odilon Barrot, Duvergier de Hauranne, de Rémusat et monsieur Dufaure, je crois.

Toutefois, le maréchal Bugeaud était commandant de l’armée et ministre de la guerre in petto. Dès le point du jour, tous ces ministres, hormis le maréchal, étaient