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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

la famille royale, car la révolution de 1848 a pris naissance dans le palais.

Madame la duchesse d’Orléans courtisait beaucoup le Roi, elle était fort caressée par lui. Vers le milieu de février, je demandai un jour à la Reine la permission de lui parler sérieusement. Je lui représentai l’inconvénient de prolonger l’isolement où son deuil la tenait, aussi bien que le Roi.

« Madame Adélaïde, lui dis-je, laisse une place importante qui ne peut pas rester vacante. Elle était le canal par lequel bien des avertissements arrivaient jusqu’au Roi. Demander une audience est une chose grave, et qui ne peut se multiplier. »

(Je n’ajoutai pas que, depuis quelque temps, les audiences devenaient inutiles, car le Roi s’emparait de la parole, et souvent on ne pouvait l’entretenir de l’objet pour lequel on l’avait demandée).

« L’esprit distingué et la haute raison de la princesse Clémentine la rendraient fort propre à remplacer sa tante ; mais bien des gens la considèrent un peu comme une princesse étrangère, pouvant ne point s’identifier entièrement avec les intérêts français. Madame la duchesse de Nemours est en dehors des habitudes politiques. Mais il y a une autre personne qui y serait très propre, si ses relations étaient sans danger, et qui y aspire évidemment.

— Hélène ! s’écria la Reine (avec le seul mouvement de chaleur que je lui eusse vu depuis la mort de monsieur le duc d’Orléans), soyez tranquille, ma chère, ce ne sera jamais la duchesse d’Orléans ; non… non… ce sera moi. Je sens l’importance de ce que vous me dites et la nécessité de m’en occuper. J’en causerai avec le Roi ; soyez sûre que je n’en perdrai pas la mémoire. »

Elle me parla ensuite de diverses choses, me remer-