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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

pour se rendre dans une ville de guerre dont la garnison fût fidèle. Monsieur de Bouillé, commandant dans l’Est, était chargé de préparer les lieux, puis de faire les dispositions du voyage. Mon père était dans la confidence. Il devait, sous prétexte de se rendre à son poste en Russie, quitter Paris, s’arrêter à la frontière, venir rejoindre le Roi où il serait et prendre ses derniers ordres pour la rédaction d’une lettre ou manifeste qu’il devait porter aux Cours du Nord, en leur expliquant la position du Roi qui, échappé des mains des factieux, se trouvait en situation de faire appel à tout ce qui était fidèle en France. Le Roi demandait surtout aux Cours étrangères de ne reconnaître d’autre autorité que la sienne et de ne point traiter avec les princes émigrés. Il existait déjà entre le château des Tuileries et le conseil de monsieur le comte d’Artois la plus vive animadversion.

Mon père pressait monsieur de Montmorin de l’expédier, mais les paresseuses lenteurs de ce ministre, qui n’était pas dans le secret, retardaient son départ. Il n’osait partir sans ses instructions dans la crainte d’inspirer des soupçons. Le jour fixé pour la fuite approchait ; enfin on lui promit que ses lettres de créance seraient prêtes le lendemain.

Il se promenait aux Champs-Élysées ; il vit passer la voiture du Roi revenant de Saint-Cloud. La Reine se pencha en dehors de la portière et lui fit des signes de la main. Il ne les comprit pas alors, mais ils lui furent expliqués lorsque, le lendemain matin, son valet de chambre lui apprit, en entrant chez lui, le départ de la famille royale. Il avait été avancé de quarante-huit heures parce qu’un changement de service parmi les femmes de monsieur le Dauphin aurait fait arriver une personne dont on se méfiait.

Mon père n’avait pas vu la Reine depuis cette décision