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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Paris, désirait en éloigner ses tantes. Elles demandèrent à l’Assemblée nationale et obtinrent la permission d’aller à Rome. Avant de partir, elles s’établirent à Bellevue.

Mon père avait été nommé ministre à Pétersbourg en remplacement de monsieur de Ségur (1790). Le rapport public du ministre portait que ce choix avait été fait parce que l’impératrice Catherine ne consentirait pas à recevoir un envoyé patriote. Cette circonstance devait finir par rendre la position de mon père très dangereuse. Cependant il ne pensait pas à s’éloigner mais il voulait que sa femme et ses enfants quittassent la France. Aussitôt que Mesdames auraient franchi la frontière, ma mère devait les suivre.

La veille du jour fixé pour le départ de Mesdames, mon père, qui passait sa vie dans les groupes, y recueillit que l’on ne voulait plus les laisser s’éloigner. Les orateurs démagogues prêchaient une croisade contre Bellevue, à l’effet d’aller chercher les vieilles et de les ramener à Paris : on ne pouvait avoir trop d’otages, etc. La foule obéissante prenait déjà le chemin de Bellevue.

Mon père retourna vite aux Tuileries, fit mettre des bottes à son valet de chambre, nommé Bermont, dont j’aurai encore à parler, le mena chez la princesse de Tarente, qui logeait au faubourg Saint-Germain et avec laquelle il était fort lié, fit seller un de ses chevaux, et envoya Bermont par la plaine de Grenelle et le chemin de Meudon prévenir Mesdames qu’il fallait qu’elles partissent sur l’heure même.

Les ordres n’étaient donnés que pour quatre heures du matin ; il en était dix du soir. Les gens de Mesdames murmuraient ; un grand nombre aurait désiré que le voyage n’eût pas lieu. Bermont se rendit aux écuries ; on n’attelait pas. Il revint trouver Madame Adélaïde, lui dit qu’il n’y avait pas un moment à perdre, que lui-