Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

été le protecteur de la famille Buonaparte. La chronique disait que madame Buonaparte en avait été fort reconnaissante. Lors de la visite de mon père, elle était encore une très belle femme : il la trouva dans sa cuisine, sans bas, avec un simple jupon attaché sur une chemise, occupée à faire des confitures. Malgré sa beauté, elle lui parut digne de son emploi.

Après avoir été chargé d’une commission relative aux Hollandais réfugiés en 1788, mon père fut nommé ministre à la Haye, et il était dans cette situation lors de notre séjour en Angleterre. Une querelle entre le prince d’Orange et l’ambassadeur de France avait fait décider à la Cour de Versailles qu’elle n’enverrait plus qu’un ministre en Hollande. La République ne voulait recevoir qu’un ambassadeur. Cette tracasserie empêchait mon père de se rendre à son poste ; il prenait d’autant plus patience qu’il espérait arriver par là au rang d’ambassadeur qu’il n’aurait pu avoir d’emblée.

La ville de Versailles avait fait des réflexions sur le dommage que lui causait l’absence de la Cour. L’effervescence s’était calmée, et elle regrettait les tristes journées d’octobre. Au retour de ma mère, elle fut on ne saurait mieux accueillie par ceux-là mêmes qui déblatéraient le plus contre elle à son départ ; toutefois nous n’y restâmes pas longtemps. Nous commençâmes par aller passer l’été à Bellevue ; et nous habitâmes, l’hiver suivant, un appartement dans le pavillon de Marsan, aux Tuileries.

J’ai parfaitement présente une scène de cet été. Je n’avais pas vu la Reine depuis bien des mois. Elle vint à Bellevue sous l’escorte de la garde nationale ; j’étais élevée dans l’horreur de cet habit. La Reine, je crois, était déjà à peu près prisonnière, car ce monde ne la quittait jamais. Toujours est-il que, lorsqu’elle m’envoya chercher, je la trouvai sur la terrasse entourée de gardes.