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MES SUCCÈS D’ENFANT À LA COUR

après, c’était en 1788, elles seraient réduites à faire leur propre lit. Combien une prophétie pareille eût paru extravagante !

Tous ces souvenirs me sont encore présents : non que j’attachasse aucun prix aux grandeurs des personnes, j’y étais trop accoutumée, mais parce qu’elles me gâtaient beaucoup et me procuraient toutes les douceurs et les petits plaisirs auxquels les enfants sont sensibles.

Je rencontrais souvent le Roi dans les jardins de Versailles et, du plus loin que je l’apercevais, je courais toujours à lui. Un jour, je manquai à cette habitude ; il me fit appeler. J’arrivai tout en larmes.

« Qu’avez-vous ma petite Adèle ?

— Ce sont vos vilains gardes, Sire, qui veulent tuer mon chien, parce qu’il court après vos poules.

— Je vous promets que cela n’arrivera plus. »

Et, en effet, il y eut une consigne donnée avec ordre de laisser courir le chien de mademoiselle d’Osmond après le gibier.

Mes succès n’étaient pas moins grands auprès de la jeune génération. Monsieur le Dauphin, mort à Meudon, m’aimait extrêmement et me faisait sans cesse demander pour jouer avec lui, et monsieur le duc de Berry se faisait mettre en pénitence parce qu’au bal il ne voulait danser qu’avec moi. Madame et monsieur le duc d’Angoulême me distinguaient moins.

Les malheurs de la Révolution mirent un terme à mes succès de Cour. Je ne sais s’ils ont agi sur moi dans le sens d’un remède homéopathique, mais il est certain que, malgré ce début de ma vie, je n’ai jamais eu l’intelligence du courtisan, ni le goût de la société des princes. Les événements étaient devenus trop sérieux pour qu’on pût s’amuser des gentillesses d’un enfant ; 1789 était arrivé.