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LE COUCHER DU ROI

fixé ; quelquefois elle ne durait que peu de minutes, quelquefois près d’une heure ; cela dépendait des personnes qui s’y trouvaient. Quand il n’y avait pas de releveurs, ainsi que les courtisans appelaient entre eux les personnes qui savaient faire parler le Roi, cela ne durait guère plus de dix minutes. Parmi les releveurs, le plus habile était le comte de Coigny : il avait toujours soin de découvrir la lecture actuelle du Roi et savait très habilement amener la conversation sur ce qu’il prévoyait devoir le mettre en valeur. Aussi le bougeoir lui arrivait-il fréquemment, et sa présence offusquait les personnes qui désiraient que le coucher fût court.

Quand le Roi en avait assez, il se traînait à reculons vers un fauteuil qu’on lui avançait au milieu de la pièce, s’y laissait aller pesamment en levant les deux jambes ; deux pages à genoux s’en emparaient simultanément, déchaussaient le Roi et laissaient tomber les souliers avec un bruit qui était d’étiquette. Au moment où il l’entendait, l’huissier ouvrait la porte en disant : « Passez, messieurs. » Chacun s’en allait et la cérémonie était finie. Toutefois, la personne qui tenait le bougeoir pouvait rester si elle avait quelque chose de particulier à dire au Roi. C’est ce qui explique le prix qu’on attachait à cette étrange faveur.

On reprenait le chemin de Paris ou celui des divers salons de Versailles où on avait laissé les femmes, les évêques, les gens non présentés et souvent les parties suspendues. Il y avait beaucoup de pratiques d’antichambre dans cette vie de Cour et de places auxquelles toute la noblesse de France aspirait.

C’est au coucher qu’un soir monsieur de Créqui, s’étant appuyé contre la balustrade du lit, l’huissier de service lui dit :

« Monsieur, vous profanisez la chambre du Roi »