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MADAME ADÉLAÏDE

qui s’y trouvait, les personnes attachées à Mesdames, leurs familles, quelques commensaux ; en général cela formait de vingt à trente personnes.

Madame Adélaïde, sans comparaison, la plus spirituelle des filles de Louis xv, était commode et facile à vivre dans l’intérieur, quoique d’une extrême hauteur. Lorsqu’il arrivait à un étranger de l’appeler Altesse Royale, elle se courrouçait, faisant tancer l’introducteur des ambassadeurs, même le ministre des affaires étrangères, et s’entretenait longtemps de l’incroyable négligence de ces messieurs, Elle voulait être Madame, et n’admettait pas que les Fils de France prissent l’Altesse Royale.

Elle avait l’horreur du vin dont elle ne buvait jamais, et les personnes qui se trouvaient placées près d’elle à table se détournaient d’elle pour en boire. Ses neveux avaient toujours cet égard. Si on y avait manqué, elle n’aurait rien dit, mais on ne se serait plus trouvé dans son voisinage à table et la dame d’honneur vous aurait indiqué de vous éloigner de la princesse. En ménageant quelques-unes de ses susceptibilités, et surtout en ne crachant pas par terre, ce qui la provoquait presque à des brutalités, rien n’était plus doux que son commerce.

Madame Adélaïde était l’aînée de cinq princesses. Elle n’avait pas voulu se marier, préférant son état de Fille de France. Elle avait tenu la Cour jusqu’à la mort du roi Louis xv. Elle avait été l’amie et le conseil du Dauphin, son frère, et sa mémoire lui a toujours été bien chère ; elle en parlait sans cesse comme de la plus vive affection de son cœur. Une de ses sœurs, madame Infante, régnait assez tristement à Parme ; une autre, madame Louise, était carmélite. Des cinq princesses, celle-là semblait sans comparaison, la plus mondaine. Elle aimait passionnément tous les plaisirs, était fort gour-