Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Cependant, pour conserver le cachet du temps, tout le monde savait que madame l’abbesse du chapitre de Metz et monsieur l’évêque avaient depuis bien des années des sentiments forts vifs l’un pour l’autre, mais cette liaison, déjà ancienne, n’était plus que respectable.

L’intimité de ma mère avec la marquise de Laval la menait souvent à Esclimont, chez son beau-père le maréchal. Là, tout était calme ; on y menait une vie de famille. Le vieux maréchal passait son temps à faire de la détestable musique dont il était passionné, et sa femme, parfaitement bonne et indulgente, quoique très minutieusement dévote, à faire de la tapisserie.

La marquise de Laval, en sortant des filles Sainte-Marie, était entrée dans cet intérieur ; elle y avait puisé des principes dont le bruit du monde la distrayait un peu sans altérer ses sentiments. Elle s’était liée avec un dévouement sans borne à ma mère et, par suite, à mon père dont elle était parente, et était heureuse de retrouver chez eux les principes qu’elle appréciait, avec moins d’ennui et de rigueur de mœurs qu’à Esclimont où l’on était enchanté de lui voir une pareille liaison.

À Versailles, la maison de la princesse de Guéméné était la plus fréquentée par mes parents. Elle les comblait de bontés ; mon père avait quelque alliance de famille avec elle. C’était une très singulière personne ; elle avait beaucoup d’esprit, mais elle l’employait à se plonger dans les folies des illuminés. Elle était toujours entourée d’une multitude de chiens auxquels elle rendait une espèce de culte, et prétendait être en communication, par eux, avec des esprits intermédiaires. Au milieu d’une conversation où elle était remarquable par son esprit et son jugement, elle s’arrêtait tout court et tombait dans l’extase. Elle racontait quelquefois à ses intimes ce qu’elle y avait appris et était offensée de recueil-