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HAUTEFONTAINE

J’ai tort de dire que Hautefontaine appartenait à l’archevêque de Narbonne : il était à sa nièce, madame de Rothe, fille de sa sœur, lady Forester. Elle était veuve d’un général Rothe ; elle avait été assez belle, était restée fort despote, et faisait les honneurs de la maison de son oncle avec lequel elle vivait depuis de longues années dans une intimité fort complète qu’ils prenaient peu le soin de dissimuler.

L’archevêque avait huit cent mille livres de rentes de biens du clergé. Il allait tous les deux ans à Narbonne passer quinze jours, et présidait les États à Montpellier pendant six semaines. Tout ce temps-là, il avait une grande existence, très épiscopale, et déployait assez de capacité administrative dans la présidence des États. Mais, le jour où ils finissaient, il remettait ses papiers dans ses portefeuilles pour n’y plus penser jusqu’aux États suivant, non plus qu’aux soins de son diocèse.

Hautefontaine était sa résidence accoutumée. Madame de Rothe en était propriétaire, mais l’archevêque y tenait sa maison. Il avait marié son neveu, Arthur Dillon, fils de lord Dillon, à mademoiselle de Rothe, fille unique et sa petite-nièce. Elle était fort jolie femme, très à la mode, dame de la Reine, et avait une liaison affichée avec le prince de Guéméné qui passait sa vie entière à Hautefontaine. Il avait établi, dans un village des environs, un équipage de chasse qu’il possédait en commun avec le duc de Lauzun et l’archevêque auquel son neveu, Arthur, servait de prête-nom.

Il y avait toujours beaucoup de monde à Hautefontaine ; on y chassait trois fois par semaine. Madame Dillon était bonne musicienne ; le prince de Guéméné y menait les virtuoses fameux du temps ; on y donnait des concerts excellents, on y jouait la comédie, on y faisait des courses de chevaux, enfin on s’y amusait de toutes les façons.