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DEUX MYSTIFICATEURS

tution de ses biens eussent été admises, le prince de Chio fut prié d’accepter une forte pension, le prince Justiniani entra au service de France en prenant le commandement d’un beau régiment.

Ces princes grecs vivaient depuis quelques années de la munificence royale ; ils étaient bien accueillis dans la meilleure compagnie à Paris et à Versailles. Leur accent et un peu d’étrangeté dans leurs manières complétaient leurs droits à tous les succès. Un jour où, pour la centième fois, ils dînaient chez le comte de Maurepas, celui-ci vit le prince de Chio, placé à côté de lui, pâlir et se troubler.

« Vous souffrez, prince ?

— Ce n’est rien, cela passera ».

Mais son indisposition augmenta tellement qu’il dut sortir de table et qu’il appela son fils pour l’accompagner. Monsieur de Maurepas avait passé les dix années de son exil dans sa terre de Châteauneuf, en Berry. Lorsqu’il s’en éloigna, il y laissa comme concierge un de ses valets de chambre ; celui-ci, venu par hasard à Versailles, avait servi à table et se trouva le lendemain dans la chambre de son maître lorsqu’il donna l’ordre d’aller savoir des nouvelles du prince de Chio. Monsieur de Maurepas lui vit étouffer un accès de rire en regardant ses camarades :

« Qu’est-ce qui te fait rire, Dubois ?

— Monsieur le comte le sait bien… C’est le prince de Chio.

— Et pourquoi t’amuse-t-il tant ?

— Ah, monsieur le comte se moque de moi… il le connaît bien.

— Certainement, je le vois tous les jours.

— Est-ce que vraiment monsieur le comte ne le reconnaît pas ?… mais c’est impossible !…