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LES COMTESSES DE PROVENCE ET D’ARTOIS

Madame, femme de Monsieur, avait beaucoup d’esprit et une certaine grâce dans les manières, malgré une très remarquable laideur. Elle avait, pendant les premières années, fait très bon ménage avec Monsieur. Mais, depuis qu’il s’était attaché à madame de Balbi, il n’allait presque plus chez Madame, et elle s’en consolait dans l’intimité de ses femmes de chambre, et, ose-t-on le dire, par la boisson portée au point que le public pouvait s’en apercevoir.

Sa sœur, madame la comtesse d’Artois, était encore beaucoup plus laide et parfaitement sotte, maussade et disgracieuse. C’est auprès des gardes du corps qu’elle allait chercher des consolations des légèretés de son mari. Une grossesse qui parut un peu suspecte, et dont le résultat fut une fille qui mourut en bas âge, décida monsieur le comte d’Artois à ne plus donner prétexte à l’augmentation de sa famille, déjà composée de deux princes.

Malgré cette précaution, une nouvelle grossesse de madame la comtesse d’Artois la força de faire sa confidence à la Reine, pour qu’elle sollicitât l’indulgence du Roi et du prince. La Reine, fort agitée de cette commission, fit venir le comte d’Artois, s’enferma avec lui, et commença une grande circonlocution avant d’arriver au fait. Son beau-frère était debout devant elle, son chapeau à la main. Quand il sut ce dont il s’agissait, il le jeta par terre, mit ses deux poings sur ses hanches pour rire plus à son aise, en s’écriant :

« Ah ! le pauvre homme, le pauvre homme, que je le plains ; il est assez puni.

— Ma foi, reprit la Reine, puisque vous le prenez comme cela, je regrette bien les battements de cœur avec lesquels je vous attendais ; venez trouver le Roi et lui dire que vous pardonnez à la comtesse d’Artois.