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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

malade toute la nuit et me suis levée tard ; d’ailleurs, je ne crois pas que je fusse en état d’écrire bien longuement. Vous avez dû remarquer que je ne reçois vos lettres qu’après le départ des miennes. Je n’ai pas montré celle d’hier : d’abord on n’avait pas vu celle à laquelle elle était une réponse et puis je craignais une scène que je ne me sentais pas en état de supporter. — Adieu, mes bons amis ; on me presse ; vous voyez que nous ne sommes pas partis. — Le vent, après un moment d’hésitation, a repris son ancien poste. Ne soyez pas inquiète, chère maman ; ce que j’éprouve n’a rien d’alarmant.


samedi, 22 novembre.

J’ignore si vous avez pu lire le peu de lignes que je vous écrivis hier, ma chère maman : une migraine affreuse m’empêchait de voir ce que je faisais. J’espère vous faire parvenir ce que j’écris maintenant dans le courant de la journée demain. Je ne conçois pas par quel hasard vous vous êtes trouvée sans lettre de moi, attendu que je n’ai pas manqué un seul jour à vous donner de mes nouvelles. Si la lettre que je vous écrivais mercredi est égarée, cela ne fait pas grand chose ; je serais plus fâchée que vous ne reçussiez pas celle de jeudi. Je suppose bien que, quel que soit l’accident qui ait empêché mon non-sens de vous parvenir, il ne se répétera pas deux jours de suite. Pardonnez moi, ma bonne maman ; je suis devenue comme Bartholo : « il n’y a point de passant, il n’y a point de hasard dans le monde ». Avouez que, si j’ai de la défiance, j’y suis bien autorisée. Mon Dieu, que je voudrais n’avoir pas vu tout ce qui m’entoure depuis un an ! Ah ! il ne faut pas voir des révolutions particulières ou générales quand on veut pouvoir croire aux vertus du genre humain ! Chaque fois qu’on me fait la révérence maintenant, j’en cherche la raison, et une funeste expérience me fait souvent trouver des motifs que, sans elle, j’eusse longtemps cherchés en vain. Je nourris ma bête ici de toutes les réflexions tristes qu’inspire ma position passée, présente et à venir. Je récapitule et mets en ordre dans ma mémoire toutes les kindnesses que j’ai éprouvées depuis l’absurde fagot débité sur ma conduite vis-à-vis