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LA REINE

à la mode, elle était coquette pour être à la mode. Être la jolie femme la plus à la mode lui paraissait le titre le plus désirable ; et ce travers, indigne d’une grande reine, a été la seule cause des torts qu’on a si cruellement exagérés.

La Reine voulait être entourée de tout ce que la Cour offrait de jeunes gens les plus agréables ; elle acceptait les hommages qu’ils offraient à la femme, bien plus volontiers que ceux adressés à la souveraine. Il en résultait que le jeune homme futile était traité avec plus de faveur et de distinction que l’homme grave et utile au pays. L’envie et la jalousie étaient alertes à calomnier ces inconséquences. La plus coupable, sans doute, était la permission que la Reine donnait à cette troupe de jeunes imprudents de lui parler légèrement du Roi, et de faire sur ses formes grossières des plaisanteries auxquelles elle-même avait le tort réel de prendre part.

Le trop grand désir de plaire l’entraînait aussi dans des fautes d’un autre genre qui lui faisaient des ennemis. Elle avait un très grand crédit, elle était bien aise qu’on le sût, et elle aimait à en user ; mais elle n’entrait jamais sérieusement dans les affaires, et ce crédit n’était exploité que comme un moyen de succès dans la société. Elle voulait disposer des places, et elle avait la mauvaise habitude de promettre la même à plusieurs personnes. Il n’y avait guère de régiment dont le colonel ne fût nommé sur la demande de la Reine, mais, comme elle s’était engagée pour la première vacance à dix familles, elle faisait neuf mécontents et trop souvent un ingrat. Quand aux histoires que les libelles ont racontées sur ses amours, ce sont des calomnies. Mes parents, bien à portée de voir et de savoir ce qui se passait dans l’intérieur, m’ont toujours dit que cela n’avait aucun fondement.

La Reine n’a eu qu’un grand sentiment et, peut-être,