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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

et mon père de très honnêtes gens s’étant trompés. Ils en convenaient bien alors ; ils admettaient son système praticable et en étaient bien aux regrets, mais, hélas ! il était trop tard. Les générations actuelles préfèrent peut-être le grand coup de balai de 1789, mais celle qui subissait la révolution en était moins charmée.

Je fais transcrire ici[1] une note toute entière de la main de mon père, dans la pensée qu’un volume a moins de chance de s’égarer qu’une feuille de papier. Elle constate quelles étaient ses opinions au mois de mai 1788. Elle a été remise à l’archevêque de Sens, avec quel insuccès, l’histoire le sait. Ce cardinal du XVIIIe siècle était esprit fort mais très petit génie, et pourtant l’opinion publique l’avait imposé au Roi comme premier ministre. En lisant ce document, il ne faut pas perdre un instant de vue sa date.

Lorsque, dans un siècle éclairé, les sottises du gouvernement l’ont réduit à la nécessité de permettre les dissertations sur les droits du peuple, on ne peut pas se flatter que le résultat soit à l’avantage de l’autorité ; elle doit alors prévoir les sacrifices auxquels elle sera forcée et poser des bornes qui, en exaltant la reconnaissance publique, arrête toute discussion.

En matière de constitution, il sera toujours impossible de s’entendre : quand les partis opposés établiront leurs prétentions sur des faits, chacun en citera en sa faveur. Comme tous les peuples de la terre ont sans cesse été ballottés par les passions des hommes intéressés à les diriger en sens contraires, il n’y a point de nation dans les annales de laquelle on ne trouve à justifier, en même temps, et les entreprises du despotisme et les folles démarches de l’enthousiasme républicain. Pour les gens de bonne foi, quelle que soit leur robe,

  1. Cette note, avec son commentaire par madame de Boigne, se trouve à la fin du manuscrit des Mémoires.