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ATTITUDE DE MONSIEUR DE TALLEYRAND

Monsieur le duc d’Orléans se trouvait déjà entouré de deux ou trois personnes, de ce qu’on appelait encore l’ancien régime ; et, loin de chercher à en augmenter le nombre, il voulait compléter sa Maison de gens d’un autre ordre et tenant aux intérêts révolutionnaires. Il avait le coup d’œil assez juste pour comprendre qu’il y avait grand intérêt à les ménager ; sa conduite a toujours tendu à opérer ce mélange. C’eût été une idée profondément habile dans les princes de la famille royale ; était-elle sans inconvénient dans le prince du sang qui se séparait ainsi de leur politique ? C’est ce que je n’oserais affirmer.

Il est certain que, dès le premier jour, monsieur le duc d’Orléans, sans conspirer contre eux, j’en ai la ferme conviction, a évité de s’assimiler à leurs allures et que toute son attitude a été celle d’un homme bien aise qu’on le croie dans l’opposition.

Monsieur de Talleyrand était bien près de suivre la même route.

S’il avait eu autant de considération dans le pays qu’il y avait d’importance, il n’aurait pas hésité ; mais la Restauration était trop son ouvrage pour qu’il osât s’en séparer à l’occasion de griefs personnels. Rebuté par tous les dégoûts dont l’abreuvait le château, il désira s’éloigner et se nomma lui-même pour assister au congrès de Vienne où la grandeur des négociations et la présence des souverains justifiaient celle du ministre des affaires étrangères.

J’allais souvent chez monsieur de Talleyrand. Son salon était très amusant. Il ne s’ouvrait qu’après minuit, mais alors toute l’Europe s’y rendait en foule ; et, malgré l’étiquette de la réception et l’impossibilité de déranger un des lourds sièges occupés par les femmes, on trouvait toujours à y passer quelques moments amusants ou au moins intéressants, ne fût-ce que pour les yeux.