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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Cette princesse fut extrêmement bonne et aimable pour elle. Elle lui parla de son père, il était rare qu’elle en prît l’initiative, et, ce qui était plus rare encore, elle lui parla de son mari. Elle regrettait que son extrême timidité lui donnât une gaucherie qui empêchait d’apprécier un mérite réel qui pourtant, selon elle, ne manquerait pas de se découvrir à la longue. Elle montra pour lui une tendresse excessive.

Au reste, elle promit de s’occuper du sort de mon frère et, en effet, peu de jours après, il reçut le brevet de chef d’escadron. C’était un abus et un de ceux qui ont le plus aliéné l’armée et irrité le pays. Mais il était devenu si général parmi les gens avec lesquels nous vivions qu’il aurait été impossible de se montrer sans cette épaulette qu’on n’avait aucun droit raisonnable de demander.

Mon père était tellement blessé de cette folie qu’il n’avait pas voulu solliciter pour son fils. Ma mère n’entra pas dans cette idée gouvernementale. Mon frère fut enchanté d’obtenir un grade et moi de le lui voir.

La répugnance de Madame à parler de ses parents me rappelle une circonstance assez bizarre. La comtesse de Chatenay avait été souvent menée par sa mère, la comtesse de La Guiche, chez Madame, lorsque toutes deux étaient encore enfants. Madame s’en souvint et la traita avec une familière bonté ; elle la reçut plusieurs fois en particulier. Un matin elle lui dit :

« Votre père est mort jeune ?

— Oui, Madame.

— Où l’avez-vous perdu ? »

Madame de Chatenay hésita un moment puis reprit :

« Hélas ! Madame, il a péri sur l’échafaud pendant la Terreur. »

Madame fit un mouvement en arrière, comme si elle