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LES FEMMES ANGLAISES

un groupe formé exclusivement par des hommes, s’appuyer contre une petite console, y poser les deux pouces, s’élancer dessus très lestement et y rester assise avec les jambes ballantes que de fort courtes jupes ne couvraient guère plus bas que les genoux.

Bientôt, une colonie entière de dames anglaises vint nous apprendre que les façons de mistress Arbuthnot ne lui étaient pas exclusivement réservées.

Je vis souvent, mais sans y prendre grand goût, madame de Nesselrode ; celle-là était suffisamment froide et guindée assurément. Elle avait beaucoup d’esprit et préludait à la domination exclusive qu’elle a depuis exercée sur son mari. Elle était jalouse de tout ce qu’elle pouvait craindre avoir quelque influence sur son esprit et, à ce titre, elle m’honora d’une assez grande dose de malveillance.

La princesse Zénéide Wolkonski éprouvait un autre genre de jalousie toute orientale ; elle ne permettait pas même à son mari d’envisager une femme. Dès qu’elle fut arrivée à Paris, elle l’enferma sous clef. Quelques mois avant, dans un accès de frénésie jalouse, elle s’était mordu la lèvre de manière à en emporter un assez gros morceau. La cicatrice était encore rouge et nuisait à sa beauté qui était pourtant réelle. Je ne sais pourquoi j’avais trouvé grâce devant elle et elle permettait au pauvre Nikita de venir chez moi. L’Europe a depuis retenti des querelles et des folies de ce couple extravagant.

Mon frère commençait à sentir l’inconvénient de n’avoir aucune carrière et regrettait vivement d’avoir cédé aux instigations de sa coterie. Ma mère en était d’autant plus affligée qu’elle se sentait coupable de l’avoir influencé dans cette décision. Elle se détermina à demander une audience à madame la duchesse d’Angoulême.