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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

de s’écouler, sans aucune communication avec le continent, leur avaient fait chercher l’initiative de leurs modes dans leurs propres colonies.

Elles avaient transporté dans nos climats les manières abandonnées et les habitudes du tropique, entre autres ces grands divans carrés sur lesquels on est couché plutôt qu’assis, et où femmes et hommes sont étendus pêle-mêle. Les grandes dames avaient conservé une certaine tradition de l’urbanité de mœurs des femmes françaises et s’étaient persuadées qu’elle était accompagnée de façons libres. Or, c’est ce qu’il y a de plus facile à imiter et, comme elles n’avaient plus l’original sous les yeux, elles s’étaient fait un type imaginaire qui nous étonnait fort.

Rien n’est plus éloigné de la vérité que cette idée adoptée par la plupart des écrivains anglais sur les femmes françaises. Elles ont en général de l’aisance de conversation, mais, dans aucun pays, le maintien n’est plus calme et plus sévère ; et, même avant la Révolution, lorsque les mœurs étaient beaucoup moins bonnes, les formes extérieures étaient encore plus rigoureuses.

Il est commun chez nous de voir des femmes qui passent pour légères conserver dans le monde un ton parfait ; je ne sais si la morale y gagne, mais la société en est certainement plus agréable. Les anglaises semblaient, au contraire, avoir jeté leur bonnet par-dessus les moulins. Je me rappelle avoir vu dans le salon de monsieur de Talleyrand, où toutes les femmes, selon l’usage des salons ministériels d’alors, étaient rangées sur des fauteuils régulièrement espacés le long du mur, une petite mistress Arbuthnot, jeune et jolie femme, qui affichait dès lors ses prétentions au cœur du duc de Wellington, quitter le cercle des dames, se réunir à