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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

routes, il en trouverait davantage, mais le chevalier nous arrêta tout court :

« Vous avez raison, mylord, il n’y a pas de pâturages, les horribles vaches mangent des chardons dans les fossés ; et, d’ailleurs, on ne saurait découvrir les prairies en France parce que l’herbe n’y est pas verte.

— Comment, l’herbe n’est pas verte, et de quelle couleur est-elle ?

— Elle est brune.

— Quand elle est brûlée du soleil.

— Non, toujours. »

Je ne pus m’empêcher de rire et de dire :

« Voilà un singulier renseignement donné à un étranger par un français. »

Le chevalier reprit aigrement :

« Je ne suis pas français, madame, je suis du pavillon de Marsan. »

Hélas ! il disait vrai et, dans cette boutade humoriste, se trouve le texte de toute la conduite de la Restauration, de toutes ses fautes, de tous ses malheurs.

Le chevalier de Puységur est l’homme que j’ai vu le plus complètement affecté du regret d’avoir perdu les avantages d’une très agréable figure. On accuse les femmes de cette petitesse ; mais aucune, que je sache, ne l’a portée à ce point. Il était devenu complètement insupportable, et les jeunes gens qui avaient entendu vanter ses bonnes façons, son esprit et sa grâce en recherchaient vainement quelque trace. Son âpreté était devenue extrême ; il aurait voulu accaparer toutes les faveurs, et il faut savoir gré à Monsieur d’avoir supporté ses exigences en souvenir d’un ancien et, je crois, sincère dévouement.

Nota. — Bien des années plus tard, et au delà de l’époque où je compte arrêter ces écrits, en avril 1832,