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LE CHEVALIER DE PUYSÉGUR

causa l’inquiétude la plus vive à tout ce qui s’appelait royaliste ; je la partageai très sincèrement. Il fut rendu à nos vœux ; hélas ! ce n’était ni pour son bonheur, ni pour le nôtre ! Il passa le temps de sa convalescence à Saint-Cloud. Nous y allâmes de Châtenay lui faire notre cour ; il fut très gracieux et très causant ; il nous montrait les élégances de Saint-Cloud avec grande satisfaction. Il disait en riant qu’on ne pouvait pas accuser Bonaparte d’avoir laissé détériorer le mobilier. La longue privation de ces magnificences royales les lui faisait apprécier davantage.

Je rencontrai à Saint-Cloud le chevalier de Puységur. Je l’avais laissé à Londres, quelques années auparavant, le plus aimable, le plus agréable et le plus sociable des hommes. Nous étions fort liés ; je me faisais grande joie de le voir. Je retrouvai un personnage froid, guindé, désobligeant, silencieux, enfin une telle métamorphose que je n’y comprenais plus rien. Je me retirai, embarrassée d’empressements qui n’avaient obtenu aucun retour. J’appris, quelques jours après, qu’en outre de l’anglomanie, qui lui avait fait prendre en dégoût tout ce qui était français, il était dominé par le chagrin de montrer une figure vieillie. Il avait perdu toutes ses dents et, jusque-là, il avait vainement tenté d’y suppléer. Un ouvrier plus adroit lui rendit par la suite un peu plus de sociabilité ; mais il ne reprit pas la grâce de son esprit et resta maussade et grognon. Il ne vint pas chez moi, mais je le voyais souvent chez mon oncle Édouard Dillon.

Un jour où lord Westmeath, qui s’occupait d’agriculture, avait été le matin à Saint-Germain, il nous demanda comment on nourrissait le bétail aux environs de Paris. Il trouvait faible la proportion des pâturages. Nous nous mettions en devoir de lui expliquer que, sur d’autres