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L’AMBASSADE DE TURIN

de confier des pouvoirs larges et véritables. Depuis les choix faits par Monsieur, on n’avait, au contraire, été occupé qu’à les limiter. Dans toutes les occasions, monsieur de Talleyrand a été on ne saurait mieux pour mon père. Leur connaissance datait de leur première jeunesse ; et, quoiqu’ils eussent suivi une route bien différente et que leurs rapports eussent été interrompus pendant vingt-cinq ans, cependant il a toujours fait grand état de la capacité et de la loyauté de mon excellent père.

Mes prévisions sur le changement survenu dans ses dispositions furent bientôt justifiées ; car, après avoir refusé d’aller à Vienne, il accepta l’ambassade de Turin. Malgré sa haute raison et son jugement supérieur, au milieu de cette curée de places, il n’avait pu s’empêcher de retrouver quelques velléités d’ambition.

Monsieur de Talleyrand lui montra Turin comme menant promptement à Londres, attendu que monsieur de la Châtre était incapable de s’y maintenir ; et, ce qui eut encore plus d’influence, il ajouta que Turin, étant regardé comme ambassade de famille, assurait de droit le cordon bleu. Or, mon père a toujours désiré cette décoration par-dessus toute chose, tant les idées conçues au début de la vie laissent de fortes traces dans les esprits les plus distingués ! Être chevalier de l’ordre lui semblait la plus belle chose du monde. Indubitablement, si monsieur de Talleyrand avait été ministre, à la première promotion il y aurait été compris.

Il faut que je raconte encore un trait qui confirme combien les impressions de jeunesse restent gravées dans l’esprit. Mon père avait été nommé commissaire français pour régler les limites après le traité de paix. Cette besogne était peu agréable ; il le sentait vivement. Ses collègues, les princes Rozamowski, le comte Wittgenstein y mettaient des formes charmantes ; le baron