Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/365

Cette page a été validée par deux contributeurs.
358
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

C’est, je crois, le début des impertinences dont sir Charles a semé le monde sous le nom de lord Steward et qu’il continue sous celui de marquis de Londonderry.

Les deux princes, neveux du Roi, étaient arrivés successivement à Paris au milieu de tant d’événements sans que cela fît grand effet. Monsieur le duc de Berry avait alors le désir de vivre sociablement. Il fit quelques visites et vint chez moi. Je lui arrangeai plusieurs soirées avec de la musique ; il s’y amusait de très bonne grâce et montrait naïvement et spirituellement sa joie de la situation où il se trouvait replacé.

Toutefois, le manque de convenance, inhérent à sa nature, se faisait sentir de temps en temps. Je me rappelle lui avoir parlé une fois pour Arthur de la Bourdonnais, jeune et bon officier qui avait servi sous l’Empereur et qui souhaitait lui être attaché ; il m’écoutait avec intérêt et bienveillance, puis, tout à coup élevant la voix :

« Est-il gentilhomme ?

— Certainement, monseigneur.

— En ce cas je n’en veux pas ; je déteste les gentilshommes. »

Il faut convenir que c’était une bizarre assertion au milieu d’un salon rempli de la noblesse de France et, en outre, cela n’était pas vrai. Il s’était dit, avec son bon esprit, qu’il ne fallait pas être exclusif et qu’il était appelé à être le prince populaire de sa famille ; et, avec son irréflexion habituelle, il avait ainsi choisi le terrain d’une profession de foi, mal rédigée en tous lieux. Je le connaissais assez pour ne pas répliquer ; il aurait amplifié sur le texte si je l’avais relevé.

Monsieur le prince de Condé ouvrit sa maison ; on s’y rendit avec empressement. Ce vieux guerrier parlait à toutes les imaginations. Il avait perdu la mémoire et faisait sans cesse des erreurs, quelquefois, assez plaisan-