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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Certainement les difficultés de communication n’étaient pas les mêmes pour elle avec de pareilles habitudes. Nos mères ne manquaient jamais de nous le rappeler, après avoir fait une diatribe sur la façon dont les duchesses leur passaient sur le corps, ainsi qu’elles s’exprimaient. Elles ne pouvaient s’y résigner ; elles nous racontaient qu’à Versailles on ne s’apercevait jamais des privilèges des titrées. Les duchesses n’avaient d’autre prérogative que de pouvoir s’asseoir au dîner du Roi, ce qui leur arrivait rarement, parce qu’il fallait, pour lors, assister à tout le repas et qu’il était plus commode de ne faire que passer.

À la vérité elles étaient assises au grand couvert, mais les dames non titrées n’y allaient pas, de sorte que la différence du traitement n’était jamais marquée. Ces dames oubliaient dans leur humeur que les voitures des duchesses entraient dans une cour réservée, que leurs chaises à porteurs suivies de trois laquais, au lieu de deux, et couvertes d’un velours rouge, entraient dans la seconde antichambre, et autres prérogatives de cette importance qui ressemblaient fort à celle d’attendre l’arrivée du Roi dans la salle de réception mais que l’habitude rendait moins désagréables à nos mères. La seule chose que j’aie jamais enviée aux dames de la salle du Trône était l’avantage d’expédier plus promptement l’ennuyeuse corvée de ces réceptions. Elles avaient lieu pour le Roi toutes les semaines ; les princes ne recevaient qu’une fois par mois.

Je reviens à 1814. Sir Charles Stewart, frère de lord Castlereagh et commissaire anglais près l’armée des Alliés, donna un magnifique bal. Les souverains y assistèrent. L’Empereur et le roi de Prusse y dansèrent plusieurs polonaises, si cela se peut appeler danser.

On tient une femme par la main et on se promène au