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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

On tombait sur lui toujours à l’improviste. Dans son disgracieux embarras, il ne savait pas rester à une place fixe. La gaucherie de ses paroles répondait à celle de sa personne ; il faisait souffrir ceux qui s’intéressaient à la famille, et pourtant, si ce prince avait succédé directement à son oncle, il est bien probable que la Restauration aurait duré paisiblement. J’aurai souvent occasion de parler de lui.

À la sortie de chez monsieur le duc d’Angoulême, nous nous trouvions dans le vestibule du pavillon de Flore, c’est-à-dire dans la rue, car, alors, il était pavé, et tout ouvert, sans portes ni fenêtres, aux intempéries de la saison. On ne permettait pas le passage par les appartements. Il nous restait le choix de traverser les souterrains des cuisines et les galeries ouvertes, ou de reprendre nos voitures pour gagner le pavillon de Marsan. Dans le premier cas, il fallait faire le trajet sans châle ni pelisse ; l’étiquette n’en admettait pas dans le château. Dans le second, il nous fallait aller chercher nos gens jusque dans la place ; on ne les laissait pas arriver plus près. Les courtisans chargés de régler ces formes n’avaient en rien pensé au confort des personnes appelées à en user.

Arrivées au pavillon de Marsan, on montait chez Monsieur toujours parfaitement gracieux, obligeant et ayant l’art de paraître tenir sa Cour pour son plaisir et en s’y amusant. Puis on redescendait au rez-de-chaussée où monsieur le duc de Berry, sans grâce, sans dignité, mais avec une spirituelle bonhomie, recevait avec aisance. Au reste, je ne puis bien juger de sa manière de prince, car il a toujours eu avec moi des habitudes de familiarité. Son père et lui avaient rapporté d’Angleterre l’usage du shake-hand. Monsieur le duc de Berry l’avait conservé pour les anciennes connaissances, et je crois que Mon-