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ANCIENS USAGES DE LA COUR

en appelait un autre et ainsi de suite jusqu’à ce que la liste fût épuisée. Cette fois, l’huissier repoussait la porte avec une violence d’étiquette. À ce bruit, chacun savait que ses espérances étaient trompées et s’en allait toujours un peu honteux, quoiqu’on sût bien d’avance qu’il y aurait bien plus de candidats que d’appelés. Ma mère m’a dit qu’elle avait été des années à déterminer mon père à aller s’asseoir sur ces banquettes et, quoique à la fin il y allât de temps en temps et qu’il fût assez souvent nommé, cependant cela lui était toujours extrêmement désagréable. Il a vu tel homme venir dix ans de suite de Paris tout exprès pour entendre cette porte se refermer avec fracas sur ses prétentions, sans que jamais elle se soit ouverte pour lui. Trop de persévérance impatientait peut-être le Roi, ou bien il s’habituait à voir ces figures sans les prier, comme les princes s’accoutument facilement à toujours adresser la même question aux mêmes personnes.

Les bals de la Reine étaient bien entendus ; les personnes présentées étaient prévenues qu’ils avaient lieu ; venait qui voulait, et beaucoup de gens voulaient parce qu’ils étaient charmants. Ils étaient donnés dans des maisons de bois qu’on établissait sur la terrasse de Versailles et qui y restaient pendant tout le carnaval ; mais ces bals aussi, malgré la grâce charmante de la Reine, étaient une occasion d’impopularité pour la Cour.

L’accroissement des fortunes dans la classe intermédiaire y avait amené toutes les formes et toutes les habitudes de la meilleure compagnie, et, malgré l’absurde ordonnance qui obligeait de faire des preuves de noblesse pour être officier, tout ce qui avait de la fortune et de l’éducation entrait au service. La noblesse et la finance vivaient donc en intimité et en camaraderie en garnison et dans toutes les sociétés de Paris ; les bals de Versailles