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ENCORE L’OPÉRA

Madame, pleine de vertus, de bonté, princesse française dans le cœur, a trouvé le secret de se faire croire méchante, cruelle et hostile à son pays. Les français se sont crus détestés par elle et ont fini par la détester à leur tour. Elle ne le méritait pas et, certes, on n’y était pas disposé. C’est l’effet d’un fatal malentendu et d’une fausse fierté. Avec un petit grain d’esprit ajouté à sa noble nature, Madame aurait été l’idole du pays et le palladium de sa race.

Peu de jours après son entrée, le Roi alla à l’Opéra. On donnait Œdipe. Il recommença ses pantomimes vis-à-vis de madame la duchesse d’Angoulême, non seulement à l’arrivée, mais encore aux allusions fournies par le rôle d’Antigone. Tout cela avait un air de comédie et, quoique le public cherchât le spectacle dans la loge plus que sur le théâtre, les démonstrations du Roi n’eurent pas de succès ; elles semblaient trop affectées. La princesse ne s’y prêtait que le moins possible. Elle était ce jour-là mieux habillée et portait de beaux diamants. Elle fit ses révérences avec noblesse et de très bonne grâce ; elle paraissait à son aise dans cette grande représentation comme si elle y avait vécu, aussi bien qu’elle y était née. Enfin, sans être ni belle, ni jolie, elle avait très grand air et c’était une princesse que la France n’était pas embarrassée de présenter à l’Europe. Monsieur partageait son aisance et y joignait l’apparence de la joie et de la bonhomie. Pendant tous ces premiers moments, il était le plus populaire de ces princes, aux yeux du public. Les personnes initiées aux affaires le voyaient sous un autre aspect.