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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

encore plus extraordinaire, c’est que les évêques se trouvaient dans le même prédicament, et ne mangeaient ni avec le Roi, ni avec les princes de la famille royale. On ne m’a jamais expliqué les motifs de cette exclusion.

Parmi les étiquettes, il y en avait une avec laquelle mon père n’a jamais pu se réconcilier et que je lui ai entendu souvent raconter, c’était la manière dont on était invité à ce qu’on appelait le souper dans les cabinets. Ces soupers se composaient de la famille royale et d’une trentaine de personnes priées. Ils se donnaient dans l’intérieur du Roi, dans des appartements si peu vastes qu’on couvrait le billard de planches pour y poser le buffet, et que le Roi était forcé de hâter sa partie pour faire place au service.

Les femmes étaient averties le matin ou la veille ; elles portaient un costume antique, tombé en désuétude pour toute autre circonstance, la robe à plis et les barbes tombantes. Elles se rendaient à la petite salle de comédie où une banquette leur était réservée. Après le spectacle, elles suivaient le Roi et la famille royale dans les cabinets.

Pour les hommes, leur sort était moins doux. Il y avait deux banquettes vis-à-vis celle des femmes invitées. Les courtisans qui aspiraient à être priés s’y plaçaient. Pendant le spectacle, le Roi, qui était seul dans sa loge, dirigeait une grosse lorgnette d’opéra sur ces bancs, et on le voyait écrire au crayon un certain nombre de noms. Les seigneurs qui avaient occupé ces banquettes (cela s’appelait se présenter pour les cabinets) se réunissaient dans une salle qui précédait les cabinets. Bientôt après, un huissier, un bougeoir à la main et tenant le petit papier écrit par le Roi, entr’ouvrait la porte et proclamait un nom ; l’heureux élu faisait la révérence aux autres et entrait dans le saint des saints. La porte se rouvrait, on