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LE DUC DE VICENCE

qu’il croyait le duc de Vicence coupable dans l’affaire d’Ettenheim :

« Je lui ai dit que non.

— Sans doute, l’opinion de l’Empereur devrait être d’un grand poids pour Monsieur, mais le public n’était pas encore éclairé et on pouvait excuser sa répugnance en songeant que monsieur le duc d’Enghien était son proche parent. »

L’Empereur hâta sa marche :

« Son parent… son parent… ses répugnances… »

Puis, s’arrêtant tout court et regardant ses interlocuteurs :

« Je dîne bien tous les jours avec Owarow ! »

Une bombe tombée au milieu d’eux n’aurait pas fait plus d’effet. L’Empereur reprit sa marche ; il y eut un moment de stupeur, puis il parla d’autre chose. Il venait de révéler le motif de sa colère. On comprit l’insistance qu’il mettait depuis cinq jours à faire admettre monsieur de Caulaincourt par Monsieur.

Le général Owarow passait pour avoir étranglé l’empereur Paul de ses deux énormes pouces qu’il avait, en effet, d’une grosseur remarquable, et Alexandre était choqué de voir nos princes refuser de faire céder leurs susceptibilités à la politique, quand lui en avait sacrifié de bien plus poignantes. On conçoit, du reste, que toute discussion cessa à ce sujet et Pozzo courut chez Monsieur lui dire qu’il fallait recevoir le duc de Vicence. Celui-ci n’en abusa pas : il alla une fois chez le lieutenant général et ne s’y présenta plus.

Cette discussion, que d’amers souvenirs rendirent toute personnelle à l’empereur Alexandre, l’éloigna des Tuileries et le rapprocha des grandeurs bonapartistes. Déjà, avec un empressement qui partait d’un cœur généreux et d’un esprit faux, il avait couru à la Malmaison porter des