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FORMATION D’UNE GARDE D’HONNEUR

Et elle leur jetait son enfant dans les bras lorsqu’elle voulait vaquer aux soins du ménage.

Ils joignaient au goût pour les maillots celui des fleurs. Ils se promenaient des heures entières devant la serre, regardant à travers les vitres et, lorsque le jardinier leur donnait un bouquet, ils le remerciaient avec toutes les formes de la plus vive satisfaction, mais ils ne touchaient à rien. Leur protection s’étendait sur tout le village, et, dès qu’un détachement s’en approchait, le cri de cosaques passait de bouche en bouche. Jour et nuit ils étaient prêts à y répondre, aussi n’y eut-il aucune déprédation arrivée à Châtenay depuis leur installation. Pour le dire en passant, ce service rendu à la commune m’a valu, pendant les Cents-Jours, une dénonciation de quelques-uns de mes voisins.

Mon père, je le dois avouer, ne souffrait peut-être pas assez de voir la cocarde tricolore abaissée mais, dès qu’il s’agissait du drapeau blanc, tout son patriotisme se réveillait avec exaltation. L’idée de voir monsieur le comte d’Artois faire son entrée dans Paris, uniquement entouré d’étrangers, le révoltait ; il conçut la pensée de former une espèce de garde nationale à cheval, composée de nos jeunes gens. Il en parla au comte de Nesselrode qui obtint l’assentiment de son impérial maître. Le gouvernement provisoire l’adopta lorsqu’elle était déjà en train.

Mon frère fut le premier qui alla inscrire son nom chez Charles de Noailles. Mon père l’avait indiqué à lui et à ses camarades comme le plus convenable pour être leur capitaine ; Charles de Noailles en fut enchanté et on ne peut plus reconnaissant ; sa fille et lui vinrent remercier mon père avec effusion. Mais, dès le lendemain, la guerre était au camp. Nous n’étions pas encore émancipés et déjà les ambitions de place se déployaient, et déjà les intrigues des courtisans agitaient leur esprit.