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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

volonté d’Alexandre ; c’était donc d’elle seule que dépendaient de si grandes résolutions. On ne peut s’étonner qu’il fût agité ni blâmer ses hésitations. Elles furent telles que Pozzo crut la partie perdue pendant la fin du jour et la moitié de la nuit.

Le duc de Vicence, qui avait jusque-là vainement sollicité une audience, en obtint une fort longue. Celle des maréchaux ne le fut pas moins ; toutefois, l’impression qu’ils avaient pu faire sur l’empereur Alexandre fut victorieusement combattue par les personnes qui composaient le gouvernement provisoire et son conseil. On fit valoir à l’Empereur qu’on ne s’était autant compromis que sur un engagement signé de son nom. S’il revenait aujourd’hui sur la promesse de ne traiter, ni avec Napoléon, ni avec sa famille, le sort de tous les gens qui s’étaient confiés à sa parole devenait l’exil ou l’échafaud. Cette question de générosité personnelle eut beaucoup de prise sur lui.

Il était, a-t-il dit depuis, déjà décidé lorsqu’il renvoya les maréchaux à neuf heures du matin pour donner une réponse ; il le laissa deviner à Pozzo et au comte de Nesselrode ; peut-être même à monsieur de Talleyrand. Mais il ne voulut pas s’expliquer nettement avant de s’être donné l’air de consulter le roi de Prusse et le prince de Schwarzenberg.

Le mardi matin, toute hésitation avait disparu et nous l’apprîmes en même temps que les dangers que nous avions courus. Ces dangers étaient réels et personnels, car, à la façon dont nous étions compromis, nous n’avions d’autre parti à prendre que de nous mettre à la suite des bagages russes si les Alliés avaient remis le gouvernement entre les mains des bonapartistes. La Régence n’aurait été, au fond, qu’une transition pour revenir promptement au régime impérial.