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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

le samedi et à dîner le dimanche. Les arrivants de Paris y étaient priés. Les personnes qui avaient des maisons se les enlevaient presque.

Il y avait aussi une table d’honneur servie aux frais du Roi au grand commun, mais aucun homme de la Cour n’aurait voulu y paraître ; et si, par un grand hasard, on n’avait été prié dans aucune des maisons que j’ai citées, on aurait plutôt mangé un poulet de chez le rôtisseur que d’aller s’asseoir à cette table regardée comme secondaire, quoique originairement elle eût été instituée pour les seigneurs de la Cour et que, jusque vers le milieu du règne de Louis xv, on y allât sans difficulté. Mais alors les charges ne tenaient pas maison et dînaient à la table du grand commun. Maintenant, elle était occupée par les titulaires de places qui constituaient une sorte de subalternité et qui classaient dans une position d’où il était impossible de sortir tant qu’on était à la Cour : c’étaient ceux qui recevaient des ordres de personnes n’ayant pas le titre de Grand. Ainsi, le gentilhomme ordinaire de la chambre, prenant les ordres du premier gentilhomme, était très subalterne, tandis que le premier écuyer, prenant les ordres du grand écuyer, était un homme de la Cour ; mais les écuyers, qui recevaient l’ordre de lui, rentraient dans la classe subalterne qui formait une ligne de démarcation impossible à franchir. Rien n’en donnait la facilité, à ce point, par exemple, que monsieur de Grailly, étant écuyer, trouvait toutes les portes des gens de la Cour fermées.

Ces habitants secondaires du château de Versailles y avaient une coterie à part dont madame d’Angivillers, la femme de l’intendant des bâtiments, était l’impératrice. Leur société était fort agréable, fort éclairée ; on s’y amusait extrêmement, mais un homme de la Cour n’aurait pas pu y aller habituellement. Mon père l’avait souvent