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MONSIEUR DE LISCOURT SE DÉMENT

Monsieur de Lescour vint chez moi le lendemain ; j’avais préalablement reçu un billet du comte de Nesselrode qui me demandait de le lui envoyer. Il y alla, fut présenté à l’empereur Alexandre, reçut force compliments et la croix de Sainte-Anne. Il revint chez moi dans des transports de joie et de reconnaissance. Il me parut un homme fort simple et fort véridique.

Quelques jours après, la princesse de Vaudémont, sa protectrice, le tança vertement d’avoir publié cette affaire. On le mena déjeuner chez madame de Vintimille. Mesdames de Girardin et Greffulhe, ses nièces, s’y trouvèrent ; elles pleurèrent beaucoup. Le général Clarke, auquel Lescour était accoutumé d’obéir comme ministre de la guerre, lui reprocha de s’être vendu à l’ennemi. On l’entoura, on le pressa ; on voulut obtenir de lui un démenti. Il n’y consentit pas tout à fait, mais on l’amena à signer une déclaration où, en confirmant avoir reçu l’ordre verbal d’un officier supérieur, il ajoutait que le jour était tellement tombé qu’il n’était pas sûr de l’avoir reconnu et pouvait bien s’être trompé en le nommant. En sortant de là, il vint chez moi me raconter ce qu’il avait fait.

« Monsieur de Lescour, lui dis-je, vous vous êtes perdu. Quand on avance des faits d’une pareille gravité, il faut en être tellement sûr qu’aucune circonstance ne puisse faire varier sur le moindre détail, et c’en est un bien important que celui sur lequel vous vous êtes rétracté. Je comprends que cela doit donner de grands doutes sur votre véracité, et les personnes qui ont arraché ce désaveu à votre faiblesse seront les premières à en profiter pour vous inculper.

Le pauvre homme en convenait et était au désespoir ; le résultat que je lui avais annoncé ne tarda pas. Il fut promptement établi que monsieur de Lescour était un