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REPRÉSENTATION AUX FRANÇAIS

présumé de nos princes que nous inaugurions ; mais cela n’était pas assez clair.

Je n’éprouvai aucun sentiment de réticence, deux jours après, à la Comédie Française, lorsqu’un homme étant sorti de dessus le théâtre, un grand papier à la main, l’attacha avec des épingles au rideau et, en se reculant, nous laissa voir les trois fleurs de lis remplaçant l’aigle, ceci était net. L’enthousiasme fut au comble et l’empereur Alexandre, en se levant dans sa loge et applaudissant lui-même, prenait un engagement formel.

On chanta en son honneur de mauvais couplets sur l’air d’Henry IV dont le dernier vers était : « Il nous rend un Bourbon. » Nouvel enthousiasme ; tout le monde fondait en larmes. Cette soirée ne me pèse pas sur la conscience ; mais je crois que celle de l’Opéra était tout au moins une grande faute.

Les partis se persuadent trop facilement qu’ils sont tout le monde. Nous aurions pu nous convaincre l’avant-veille que nous n’étions qu’une fraction minime dans la nation, et pourtant nous allions de gaieté de cœur affronter les sentiments honorables du pays et blesser cruellement ceux de l’armée. Cet aigle, qu’elle avait portée victorieuse dans toutes les capitales de l’Europe, nous semblions l’offrir en holocauste aux habitants de ces mêmes capitales qui, peut-être, ne nous honoraient guère de cette apparence de sentiments antinationaux.

Sans doute, ce n’était pas plus notre but que notre pensée, mais, assurément, il ne fallait pas beaucoup de malveillance pour l’expliquer ainsi. Le parti abattu pouvait sincèrement en être persuadé et il n’est pas étonnant qu’une pareille conduite ait engendré ces longues haines qui ont tant de peine à s’éteindre. C’est bien à regret que je l’avoue, mais le parti royaliste est celui qui a le moins l’amour de la patrie pour elle-même ; la querelle