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RÉUNION CHEZ M. DE MORTEFONTAINE

Monsieur de Vérac fut complètement déconcerté ; mais le plaisant c’est qu’il n’osa jamais relever ma méprise et expliquer de quel Empereur il s’informait. C’est la seule petite vengeance que j’ai exercée contre la chambellanerie impériale.

Le comte de Nesselrode causa longtemps avec mon père des choses et des personnes. Entre autres, il lui demanda s’il croyait qu’on dût laisser la police à monsieur Pasquier. Mon père lui répondit qu’elle ne pouvait être dans des mains plus habiles et plus probes, que, s’il consentait à en rester chargé, on devait regarder son accession comme une bonne fortune et qu’on pouvait se fier entièrement à sa parole.

Je ne me souviens plus si c’est ce soir-là ou le lendemain qu’il y eut une réunion royaliste chez monsieur de Mortefontaine ; elle envoya une députation chez l’empereur Alexandre pour exprimer ses vœux. Je me rappelle seulement que mon père en revint harassé, dégoûté, désolé ; toutes les folies de l’émigration et de la plus sotte opposition s’y étaient montrées triomphantes. On ne parlait que de victoire, que de vexation, que de vengeance contre ses compatriotes, tandis qu’on était suppliant aux pieds d’un souverain étranger, dans sa propre patrie. Sosthène de La Rochefoucauld était déjà un des grands coryphées de ce charivari d’absurdités.

Mon salon ne désemplissait pas ; tous les jeunes gens qui avaient été les camarades de mon frère dans la promenade du boulevard y passaient ; et, quoique ce fût une bien faible armée pour amener un changement de dynastie, cela suffisait pour faire foule dans de petits appartements, d’autant que les gens de ma société habituelle y venaient, aussi bien que les étrangers.

Je ne puis assez vanter la parfaite convenance des officiers russes dans cette circonstance ; ils n’étaient