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ARRIVÉE DU PREMIER OFFICIER RUSSE

convenance de prendre la cocarde blanche. Un immense nombre de personnes, disait-il, y étaient disposées. Mon père l’engagea à calmer leur zèle pendant quelques heures ; il ne fallait pas qu’une pareille tentative échouât. Il était donc prudent d’attendre le moment où les Alliés feraient leur entrée, c’est-à-dire jusqu’à midi.

Monsieur de Glandevèse et mon frère allèrent porter ces paroles aux différentes réunions. Mon père, de son côté, apprit bientôt que le maréchal Moncey, commandant de la garde nationale de Paris, était parti dans la nuit après avoir fait appeler le duc de Montmorency, commandant en second, et lui avoir fait remise de toute son autorité. Mon père se rendit chez le duc de Laval, dans l’espoir qu’il pourrait décider son cousin à se déclarer pour la cause que nous voulions voir triompher.

Il était dix heures, à peu près. Nous étions, ma mère et moi, à une fenêtre d’entresol, lorsque nous vîmes venir de loin un officier russe, suivi de quelques cosaques. Arrivé tout près de nous, il demanda où demeurait madame de Boigne ; en même temps, il leva la tête et je reconnus le prince Nikita Wolkonski, une de mes anciennes connaissances. Il me vit en même temps, sauta à bas de son cheval, entra dans la maison ; son escorte s’établit dans la cour, et deux cosaques se placèrent en vedette en avant de la porte cochère qui resta ouverte. J’ai toujours considéré comme une marque de la frayeur qu’inspirait encore au peuple le gouvernement impérial qu’elle eût pu vaincre la badauderie parisienne dans cette circonstance.

Malgré la curiosité que devaient inspirer ces cosaques (les premiers que l’on eût vus dans Paris), pendant une heure que dura la visite du prince Wolkonski, non seulement il ne se fit pas de rassemblement devant la porte, mais les passants ne s’arrêtèrent pas un instant. Et,