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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

notre attention, c’était un très petit chien qui mangeait un os, assez loin de nous. De temps en temps seulement, le silence était interrompu par les qui-vive des patrouilles des Alliés, se répondant en faisant leurs rondes, sur les hauteurs qui nous dominaient. Ce son étranger fut le premier qui me fit sentir que j’avais un cœur français ; j’éprouvai un sentiment très pénible ; mais nous étions trop sous l’impression de la crainte du retour de l’Empereur pour qu’il pût être durable.

Les places, les rues étaient remplies par l’armée française ; elle bivouaquait sur le pavé, en tristesse, en silence. Rien n’était beau comme son attitude ; elle n’exigeait, ne demandait, n’acceptait même rien. Il semblait que ces pauvres soldats ne se sentissent plus de droits sur des habitants qu’ils n’avaient pas pu défendre. Cependant, huit mille hommes, sous le commandement du duc de Raguse, engagés pendant dix heures, avaient laissé à quarante-cinq mille étrangers treize mille de leurs morts à ramasser. Aussi, les Alliés ne pouvaient-ils croire, les jours suivants, au peu de troupes qui avaient défendu Paris.

L’histoire fera justice de la sotte méchanceté des passions qui ont accusé le maréchal Marmont d’avoir livré la ville, et rétablira cette brillante affaire de Belleville au rang qu’elle doit occuper dans les fastes militaires.

Je vais entrer dans le récit de la Restauration. Jetée par ma position dans l’intimité de beaucoup de gens influents, j’ai vu depuis ce temps les événements de plus près. Je ne sais si je les rendrai avec impartialité ; c’est une qualité dont tout le monde se vante et qu’au fond personne ne possède. On est plus ou moins influencé, fort à son insu, par sa position et son entourage. Du moins, je parlerai avec indépendance et dirai la vérité telle que je la crois. Je ne puis m’engager à davantage.