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RETRAITE DES TROUPES

faibles obstacles suffisent pour arrêter le soldat, toujours pressé, dans la crainte de se voir interdire le pillage par ses chefs.

On venait, de moment en moment, nous raconter ce qu’on pouvait apprendre dans les environs. Quand le canon se taisait d’un côté, il recommençait de l’autre. Tantôt le bruit se rapprochait, tantôt il s’éloignait, selon que les positions étaient prises ou qu’on en attaquait de nouvelles. Ce que nous craignions le plus c’était l’arrivée de l’Empereur ; nous ignorions où il était.

Alexandre de la Touche, le fils de madame Dillon, habitait les Tuileries chez sa sœur, madame Bertrand ; il vint le matin me supplier de quitter Paris, je m’y refusai absolument. Bientôt après, nous apprîmes les hostilités suspendues et les négociations entamées pour une capitulation. Il revint et se mit positivement à genoux devant ma mère et moi pour nous décider, nous conjurant de lui permettre de faire atteler nos chevaux. Nous lui représentions que ce n’était pas le moment de partir puisque le danger était conjuré.

« Il ne l’est pas, il ne l’est pas, ah ! si je pouvais vous dire ce que je sais ! mais j’ai donné ma parole ; partez, partez, je vous en supplie, partez. »

Nous résistâmes et il nous quitta en pleurant, allant rejoindre sa mère et sa sœur qui l’attendaient pour monter en voiture. Cette insistance de monsieur de la Touche m’est revenue à la mémoire lorsque, quelques jours après, on a dit que l’Empereur avait donné l’ordre de faire sauter les magasins à poudre. Certainement il croyait savoir un secret qui devait entraîner des calamités.

Je n’oublierai jamais la nuit qui succéda à cette journée si animée. Le temps était superbe, le clair de lune magnifique, la ville était parfaitement calme ; nous nous mîmes à la fenêtre, ma mère et moi. Un bruit attira