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ILLUSIONS DE PARTI

rend bien indulgente pour les illusions et les exigences des gens de parti. Je suis seulement étonnée qu’à force de les remarquer en soi, ou dans les autres, on ne s’en corrige pas un petit, et je ne comprends guère l’intolérance dans ceux qui, comme nous, ont traversé une série de révolutions.

Il faut pourtant reconnaître, comme excuse à nos folies, que nous étions contraints à deviner la vérité à travers les relations officielles qui, presque toujours, la déguisaient.

L’Empereur s’était accoutumé à penser que le pays n’avait aucun droit à s’enquérir des affaires de l’Empire, qu’elles étaient siennes exclusivement et qu’il n’en devait compte à personne. Ainsi, par exemple, la bataille de Trafalgar n’a jamais été racontée à la France dans un récit officiel ; aucune gazette, par conséquent, n’en a parlé et nous ne l’avons sue que par voies clandestines. Quand on escamote de pareilles nouvelles, on donne le droit aux mécontents d’inventer des fables au nombre desquelles se trouvait cette armée suédoise et bourbonienne que nous avions rêvée en Belgique.

Les événements se pressaient : les ennemis craignaient de marcher sur Paris ; ils étaient effrayés de cette pensée. Nous qui aurions dû la redouter, nous l’accueillions de tous nos vœux. La désorganisation du gouvernement sautait aux yeux. De malheureux conscrits remplissaient les rues ; rien n’avait été préparé pour les recevoir. Ils périssaient d’inanition sur les bornes ; nous les faisions entrer dans nos maisons pour les reposer et les nourrir. Avant que le désordre en vint là, ils étaient reçus, habillés et dirigés sur l’armée en vingt-quatre heures. Ces pauvres enfants y arrivaient pour y périr sans savoir se défendre.

J’ai entendu raconter au maréchal Marmont qu’à Mont-