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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

de Duras est homme d’honneur : il n’hésita pas à reconduire sa femme à Londres et à y rester auprès d’elle.

Madame de Duras se sentit fort ulcérée. J’ai toujours pensé qu’elle avait puisé dans cette insulte l’indépendance de sentiment qui a honoré son caractère dans la suite. Après un séjour de quelques années en Angleterre, le ménage Duras revint en France où il ramena deux petites filles, les seuls enfants qu’il ait eus.

Madame de Duras s’aperçut enfin de la supériorité qu’elle avait sur son mari et le lui fit sentir avec une franchise qui amena des dissensions. Au temps de sa passion, innocente autant qu’extravagante pour monsieur de Chateaubriand, elle cherchait une distraction à ses ennuis domestiques. Madame de Duras n’avait dans sa jeunesse aucun agrément, mais elle avait beaucoup d’esprit, le cœur haut placé et une véritable distinction de caractère. Plus le théâtre où elle a été placée s’est élevé, plus sa valeur réelle a été révélée. Je l’avais devinée depuis longtemps.

Madame de Bérenger avait épousé, étant mademoiselle de Lannois, le duc de Châtillon-Montmorency que ce beau nom fit périr misérablement. Il était à Yarmouth, prêt à s’embarquer sur un paquebot ; le vent changea, il dut attendre. Le capitaine de la frégate la Blanche, apprenant qu’un duc de Montmorency était à l’auberge, lui offrit un passage sur sa frégate. Elle allait porter l’argent des subsides à Hambourg ; la Blanche se perdit corps et biens à l’entrée de l’Elbe ; le duc de Châtillon fut noyé. Sa veuve jouit quelque temps de sa liberté. Pour faire une fin, elle épousa le moins aimable de ses adorateurs, Raymond de Bérenger. Elle avait un esprit sérieux et fort distingué, mais pas assez supérieur pour se mettre au niveau des simples mortels. J’en avais grand’peur.