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UNE AMIE DE CHATEAUBRIAND

sieur de Chateaubriand. Comme elle était charmante dès qu’on se mettait en rapport avec elle, elle plaisait par son propre mérite.

Elle fut un instant dans l’intimité d’une coterie, composée de mesdames de Duras, de Bérenger, de Lévis, etc. Mais, bientôt, elle-même s’en ennuya ; elle s’en retira volontairement et rentra dans l’intérieur de son cabinet où des occupations sérieuses se mêlaient à des talents de premier ordre pour employer son temps. Elle vécut de cette sorte jusqu’à la Restauration. Nous la vîmes, à cette époque, se précipiter dans le tourbillon du monde ; couverte d’atours couleur de roses, elle dansa à un grand bal. Son mari, qui n’avait jamais cessé de la voir, négocia une réconciliation avec elle. Elle prit le titre de duchesse de Z…

On lui proposa un appartement à l’hôtel de X… ; on parlait même d’une grossesse qui donnait l’espoir d’un frère à sa fille mariée depuis plusieurs années. Chacun remarquait les manières bizarres de madame de Z… Les Cents-Jours arrivèrent ; la terreur s’empara d’elle, son étrangeté augmenta. On chercha pendant quelques mois à la dissimuler, il fallut enfin la reconnaître et la séquestrer. À l’époque où j’écris, elle est depuis vingt ans renfermée et n’a jamais recouvré la raison. Tel a été le sort d’une des personnes les plus heureusement douées que la nature ait jamais formées. Je ne puis m’empêcher de croire qu’elle valait mieux que la vie qu’elle a menée.

Sans ce fatal voyage d’Angleterre qui l’a rendue toute blessée, toute désillusionnée aux désordres de Paris pendant le temps du Directoire, peut-être n’aurait-elle pas suivi une aussi mauvaise voie. J’ai lieu de penser que son mari a plus d’une fois regretté sa propre conduite, et le sacrifice qu’il avait fait à ce faux dieu de la galan-