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MARIAGE DE MON PÈRE

aucune liaison intime que l’excessive jalousie de son mari n’aurait guère tolérée. Cet isolement excita l’intérêt, lui suscita des protecteurs. Ses affaires, dont elle n’avait aucune notion, furent éclaircies, et, pour résultat, on découvrit que monsieur Dillon vivait sur des capitaux qui touchaient à leur fin et qu’elle restait avec treize enfants et pour tout bien une petite terre, à trois lieues de Bordeaux, qui pouvait valoir quatre mille livres de rente.

Madame Dillon était encore belle comme un ange, très aimable et très sage ; ses enfants étaient aussi d’une beauté frappante ; toute cette nichée d’amours intéressa. On s’occupa d’une famille si abandonnée. Tout le monde voulut venir à son secours : tant il y a, que, sans avoir jamais quitté ses tourelles de Terrefort, ma grand’mère y soutint noblesse et trouva le secret d’élever treize enfants, de les établir dans des positions qui promettaient d’être très brillantes, lorsque la Révolution arrêta toutes les carrières. À l’époque dont je parle, il ne lui restait plus qu’une fille à marier ; elle était belle et aimable, mais elle n’avait pas un sol de fortune.

La noce de mon père étant fixée au printemps, l’évêque partit pour Paris. À peine arrivé, et ne se trouvant plus sous le charme de l’enchanteresse, on n’eut pas de peine à lui faire comprendre que ce mariage n’avait pas le sens commun, que mon père devait profiter de son nom et de sa position pour faire un mariage d’argent. Il n’avait pas de fortune en Europe ; celle des colonies était précaire et, les partages y étant égaux, il n’aurait jamais un revenu suffisant pour épouser une femme qui n’avait rien ; l’évêque, en les recevant chez lui, ne leur donnait qu’un secours temporaire ; mademoiselle Dillon, d’ailleurs, pouvait être une bonne demoiselle, mais ne procurait aucune alliance dans le pays. Le comte d’Osmond