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UNE AMIE DE CHATEAUBRIAND

C… de X… partit laissant monsieur du L… passer tout seul auprès d’une femme de vingt ans, triste et délaissée, les longues journées de l’hiver.

Elle était aussi aimable que jolie, pleine de talents et d’esprit. Monsieur du L…, qui avait déjà la tête montée par ses lettres, en devint passionnément amoureux et n’eut pas de peine à jouer le rôle auquel il s’était engagé. Il avertit soigneusement le mari de ses progrès et, au bout de plusieurs mois, de son succès. Celui-ci annonça alors le projet d’une visite aux deux solitaires. Madame de X…, réveillée du doux rêve où elle s’abandonnait par la pensée de voir arriver l’époux qu’elle avait offensé, se livra à une douleur immodérée. Monsieur du L… essaya vainement de la calmer ; enfin il se décida à lui raconter le pacte immoral à l’aide duquel il avait réussi et lui apporta en preuve sa correspondance.

Madame de X… avait encore à cette époque l’âme noble et pure ; elle se sentit révoltée d’avoir été trahie d’une façon si odieuse, elle resta anéantie sous cette horrible révélation. Dès le lendemain, elle prit avec son enfant la route de Yarmouth, annonçant qu’elle retournait chercher un asile dans les bras de sa mère. Son mari fut enchanté d’en être débarrassé. Monsieur du L… courut après elle, la rattrapa avant qu’elle fût embarquée, l’apaisa, l’accompagna et obtint son pardon. Mais l’illusion de l’amour était détruite pour elle. Monsieur du L… a été puni de sa coupable transaction par un sentiment vrai et passionné qui, depuis lors, a fait le malheur de sa vie.

Madame de X…, l’imagination salie et le cœur froissé par la conduite de deux hommes qu’elle avait aimés, arriva à Paris au moment des saturnales du Directoire et n’y prit qu’une part trop active. Elle-même a pris la peine de la rédiger en ce peu de mots :