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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

d’aller rejoindre son jeune mari pour lequel elle ressentait l’amour le plus tendre. Quitter la France n’était pas chose facile ; cependant, à force de courage et d’intelligence, elle parvint à se faire jeter par un bateau sur la plage d’Angleterre. Sa fille, confiée à un patron américain, l’y avait précédée de quelques heures. Ayant cette enfant dans ses bras, elle vint heurter à la porte de son mari.

C… de X…, était alors attaché par l’empire de la mode au char de madame Fitz-Herbert. Elle avait au moins quarante-cinq ans, mais le plaisir d’être le rival du prince de Galles, qui n’en dissimulait pas son mécontentement, la parait de tous les charmes aux yeux de monsieur de X…, et il vit arriver sa gracieuse compagne avec une vive impatience. Sous prétexte d’économie, il s’empressa de la conduire dans une petite chaumière au nord de l’Angleterre. Elle ne s’en plaignit pas tant qu’il l’habita avec elle. Mais bientôt des affaires l’appelèrent à Londres ; ses séjours y devinrent fréquents, s’y prolongèrent, enfin il s’y établit.

Il était intimement lié avec monsieur du L… de V…, jeune homme beaucoup moins beau, mais infiniment plus aimable et plus agréable que monsieur de X… Il lui montrait, en se plaignant de l’ennui qu’elles lui causaient, les lettres tendres et tristes de sa jeune femme. Monsieur du L… lui reprochait l’abandon où il la laissait, ajoutant qu’il mériterait bien qu’il lui arrivât malheur :

« Tu appelles cela malheur ; le plus beau jour de ma vie serait celui où je me verrais débarrassé de ses doléances. »

Monsieur du L… finit par offrir à C… de X… de chercher à le délivrer de l’amour de sa femme. Ce dévouement fut accepté avec transport. Les deux amis se rendirent ensemble à la chaumière ; peu de jours après