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MONSIEUR DE CHATEAUBRIAND

briand, je n’ai point été enrôlée dans la compagnie de ses madames, comme les appelait madame de Chateaubriand, et ne suis jamais arrivée à l’intimité, car il n’y admet que les véritables adoratrices.

Lorsqu’en 1812 nous quittâmes Beauregard pour nous installer à Châtenay, monsieur et madame de Chateaubriand étaient établis à la Vallée-aux-Loups, à dix minutes de chez moi. L’habitation créée par lui était charmante et il l’aimait extrêmement. Nous voisinions beaucoup ; nous le trouvions souvent écrivant sur le coin d’une table du salon avec une plume à moitié écrasée, entrant difficilement dans le goulot d’une mauvaise fiole qui contenait son encre. Il faisait un cri de joie en nous voyant passer devant sa fenêtre, fourrait ses papiers sous le coussin d’une vieille bergère qui lui servait de portefeuille et de secrétaire et, d’un bond, arrivait au-devant de nous avec la gaieté d’un écolier émancipé de classe.

Il était alors parfaitement aimable. Je n’en dirai pas autant de madame de Chateaubriand ; elle a beaucoup d’esprit, mais elle l’emploie à extraire de tout de l’aigre et de l’amer. Elle a été bien nuisible à son mari, en l’excitant sans cesse à l’irritation et en lui rendant son intérieur insupportable. Il a toujours eu de grands égards pour elle sans pouvoir obtenir la paix du coin du feu.

J’ai dit qu’elle avait de l’esprit, cela est incontestable. Cependant (et il faut l’avoir vu pour se le persuader) son orgueil bourgeois est blessé de la réputation littéraire de monsieur de Chateaubriand ; il lui semble que c’est déroger ; et, pendant la Restauration, elle voulait, avec la plus extravagante passion, des titres et des places de Cour pour compenser ces vulgaires succès. Elle affichait hautement la prétention de n’avoir jamais lu une ligne de ce que son mari avait fait publier ; mais, comme elle lui dit sans cesse qu’un pays qui a la gloire de le posséder