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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

de suite, afin que sa jolie nièce vînt faire les honneurs de sa maison, et s’établît dès l’hiver à Paris. Mais mon père ne voulut pas se marier sans le consentement du sien, et la cérémonie fut remise au printemps.

Il me faut maintenant parler de la famille de ma mère. Monsieur Robert Dillon, des Dillon de Roscomon, était un gentilhomme irlandais catholique, possesseur d’une jolie fortune ; pour l’augmenter, et dans la nullité où étaient condamnés les catholiques, un sien frère fut chargé de la faire valoir dans le négoce. Monsieur R. Dillon avait épousé une riche héritière dont il eut une seule fille, lady Swinburne. Devenu veuf, il épousa miss Dicconson, la plus jeune de trois sœurs, belles comme des anges, que leur père, gouverneur du prince de Galles, fils de Jacques ii, avait élevées à Saint-Germain. Lors du mariage, leurs parents étaient rentrés en Angleterre et établis chez eux en Lancashire, dans une très belle terre.

Monsieur Dillon et sa charmante épouse se fixèrent en Worcestershire, et c’est là où ma mère et six enfants aînés sont nés. Mais le frère, chargé des affaires en Irlande, vint à mourir et on s’aperçut qu’il les avait très mal gérées. Monsieur Dillon fut obligé de s’en occuper lui-même. Les plus importantes étaient avec Bordeaux : il se décida à s’y rendre et emmena sa famille ; il s’y plut ; sa femme, élevée en France, la préférait à l’Angleterre. Il prit une belle maison à Bordeaux, acheta une terre aux environs et y menait la vie d’un homme riche, lorsqu’un jour, en sortant de table, il porta la main à sa tête en s’écriant : « Ah ! ma pauvre femme, mes pauvres enfants ! », et il expira.

Son exclamation était bien justifiée. Il laissait madame Dillon, âgée de trente-deux ans, grosse de son treizième enfant, dans un pays étranger, sans un seul parent, sans