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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Le ciel l’avait créée jolie femme et spirituelle, mais la partie morale, l’éducation pratique et d’exemple avaient manqué, ou plutôt ce qu’une intelligence précoce avait pu lui faire apercevoir autour d’elle n’était pas de nature à lui donner des idées bien saines sur les devoirs qu’une femme est appelée à remplir. Peut-être aurait-elle échappé à ces premiers dangers si son mari avait été à la hauteur de sa propre capacité et qu’elle eût pu l’aimer et l’honorer. Cela était impossible ; la distance était trop grande entre eux.

J’insiste sur ces réflexions parce que je suis persuadée que, quelque supériorité qu’on apporte dans le monde, la conduite qu’on y tient est presque toujours le résultat des circonstances environnantes. Telle femme qui a beaucoup fait parler d’elle eût été, autrement placée, chaste épouse et bonne mère de famille. Je crois à l’éducation du manteau de la cheminée. Lorsqu’on a passé son enfance à entendre les principes d’une saine morale, simplement professés, et à les voir sans cesse mettre en pratique, il se forme autour d’une jeune personne un réseau d’adamant dont elle ne sent ni le poids ni la force mais qui devient comme une seconde nature. Il faut un rare degré de perversité pour chercher à en rompre les mailles. Ayons de l’indulgence pour celles qui sont livrées aux séductions du monde sans être pourvues de cette défense.

Je viens de prononcer le nom de monsieur de Talleyrand, mais je ne me hasarderai pas à en parler. Je ne chercherai pas à estomper un caractère qui appartient au burin de l’histoire ; ce sera elle qui pèsera les torts de l’homme privé avec les services de l’homme d’État et fera pencher la balance.

Dans ces barbouillages où je m’amuse à faire repasser devant moi comme des ombres chinoises, sans suite et