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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

arriva chez elle, à Paris, à minuit. Monsieur Récamier frémit de la voir :

« Mon Dieu, que faites-vous ici ? vous devriez être à Châlons, remontez vite en voiture.

— Je ne puis, j’ai passé deux nuits, je meurs de fatigue.

— Allons, reposez-vous bien ; je vais demander les chevaux de poste pour cinq heures du matin. »

Madame Récamier partit, en effet ; elle alla chez madame de Catelan qui lui prodigua toutes les consolations de l’amitié et l’accompagna à Châlons avec un dévouement on peut dire héroïque ; car on voit quel effroi la qualification d’exilé inspirait aux âmes communes.

Au positif pourtant, cet exil si redouté se bornait à l’exclusion du séjour de Paris et d’un rayon de quarante lieues à la ronde. Dans le premier moment, on désignait un lieu spécial, mais cela s’adoucissait bientôt, et, hors Paris et ses environs, l’Empire entier était ouvert. Mais le prestige de la puissance impériale était si grand qu’ayant eu le malheur de lui déplaire on était exposé partout à des vexations journalières.

Le sort de madame de Staël fut encore aggravé ; non seulement elle fut exilée à Coppet même, mais il fallait une permission expresse du préfet pour aller l’y voir. C’est à cause de ces nouvelles difficultés que, sous prétexte, de santé, elle obtenait quelquefois l’autorisation de faire de petits séjours à Genève et que je l’y ai trouvée ainsi que je l’ai raconté plus haut.

Madame Récamier fut à Châlons, puis à Lyon, puis enfin elle alla en Italie où elle était encore à la chute de l’Empire.

L’exil me ramène naturellement à parler d’une de ses victimes. La jeune, jolie et extravagante madame de Chevreuse. J’ai déjà dit qu’elle tenait une place tout à part dans ce qu’on appelait alors la société de l’ancien régime.