Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome I 1921.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
237
EXIL DE MADAME RÉCAMIER

Tous deux m’en parlèrent ; nous convînmes que, même dans l’intérêt de madame de Staël, il fallait laisser passer cette bourrasque, s’abstenir d’aller à Coppet et faire oublier l’été précédent par la tranquillité de celui qui commençait.

Mathieu et madame Récamier écrivirent une lettre en commun dans ce sens qu’ils confièrent à monsieur de Châteauvieux, car dans ce temps on n’aurait pas osé écrire ainsi par la poste. La colère de madame de Staël n’eut pas la même prudence ; elle chargea le courrier le plus prochain d’une réponse pleine de douleur et de reproches, elle finissait par cette phrase :

« Jusqu’à présent, je ne connaissais que les roses de l’exil ; il était réservé aux personnes que j’aime le plus de m’en faire apercevoir les épines, ou plutôt de me plonger un poignard dans le cœur en me prouvant que je ne leur suis plus qu’un objet d’effroi et de repoussement. »

Madame Récamier et monsieur de Montmorency n’hésitèrent pas ; ils partirent. Mathieu précéda de douze heures à Coppet l’ordre d’exil qui l’envoyait à Valence.

Madame Récamier n’était pas encore arrivée ; Auguste de Staël courut à sa rencontre, la trouva dans le Jura, l’engagea à rétrograder dans l’espoir que l’ordre, ne l’ayant pas trouvée à Coppet, serait peut-être révoqué. Elle reprit la route de Paris accompagnée d’une jeune cousine qu’elle élevait depuis plusieurs années et dont le père occupait un petit emploi à Dijon. En y arrivant, elle le trouva à la porte de l’auberge ; il lui expliqua en quelques mots que, plein de reconnaissance pour ses anciennes bontés, il ne pouvait, sans se compromettre, laisser sa fille auprès d’une personne exilée et la lui enleva. Madame Récamier continua sa route seule ; elle