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LE CARDINAL MAURY

Tout le monde s’en aperçut bientôt. Sa gourmandise et son avarice en firent le plastron des plaisanteries de société, et il a mené à Paris une vie honteuse et bafouée. Cette sordide avarice était poussée à un tel point que, lorsqu’il quitta son logement loué pour entrer à l’archevêché, il resta trois heures à grelotter dans sa chambre, attendant que les cendres de son unique foyer fussent assez refroidies pour les emporter avec lui, ne voulant pas, disait-il, laisser ce profit au propriétaire.

Un jour, il sortait de chez lui avec mon père ; à moitié de l’escalier, il lui dit :

« Remontons ; vous m’avez distrait et j’ai négligé ma précaution accoutumée. »

Ils entrèrent dans sa chambre ; mon père lui vit ôter une petite marmite de devant le feu et l’enfermer dans une armoire dont il prit la clef :

« Voyez-vous, mon cher ami, quand je sors j’enferme mon pot au feu ; ces gredins-là seraient capables de prendre mon bouillon et d’y fourrer de l’eau. »

Je cite ces traits parce que mon père a été témoin de tous les deux, mais toute sa vie en était remplie. Il était constaté que, lorsqu’il n’était pas prié à dîner, il faisait son repas de petits gâteaux qu’on servait dans les soirées. Mais aussi, lorsqu’il était assis à la table d’un autre, il mangeait avec autant d’avidité que de malpropreté. Il est triste de penser qu’un homme, qui a joué un rôle important et qui avait eu un esprit remarquable, ait pu être amené, par des vices aussi bas, à un tel état d’indignité.

Dans les premiers temps, il venait souvent chez moi. Il avait entrepris de rallier mon père au gouvernement, et quelquefois ils causaient ensemble sur les avantages et les inconvénients du régime impérial. Le jour où le décret sur les prisons d’État parut dans le Moniteur,